La princesse du palais des mers
— Je veux une pierre tombale plus haute que sa taille. Et qu’elle soit jetée à la mer en l’étreignant.
Couvert de sang, le père mourut en laissant ces paroles, de sorte que ses deux fils lui firent faire une magnifique pierre tombale. Le père avait été assassiné avec une cruauté particulière par la jeune veuve et son amant.
Les deux fils d’un premier mariage soulevèrent comme fétu de paille la pierre plus haute que la femme honnie et l’emportèrent au sommet d’une roche qui surplombait la mer. Un caillou lancé de là devenait minuscule grain de sésame pour disparaître dans les flots, mais le vertige empêchait qu’on le suive des yeux jusqu’à ce qu’il atteigne les vagues tant la terrible falaise était abrupte. Là, les fils dénudèrent la femme et l’attachèrent avec une corde grossière à la pierre tombale. Qu’ils firent basculer. Déployant bras et jambes, la femme, à son insu même, s’y agrippa. La pierre dévalait en grondant comme un être vivant.
Or, que se passait-il ? Au beau milieu du précipice, la pierre s’arrêta un instant puis, au lieu de rouler, se mit à glisser comme une luge transportant la femme. Et, au moment de tomber dans la mer, ne voilà-t-il pas qu’elle devint une superbe barque ? Et que cette barque, comme un trait de lumière, voguait droit vers le large ? À cette vue, les deux fils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre. « Père, pardonne-nous », crièrent-ils avant de s’écrouler.
Arriva l’amant de la femme. La barque était rapide comme l’hirondelle qu’emporte le ciel bleu. Aucun bateau n’aurait pu la rattraper. Alors il se précipita sur la tombe du mari pour s’emparer du socle en pierre. Et le serrant dans ses bras, il se jeta dans la mer. Cette fois encore, la pierre se transforma en un bateau rapide comme l’éclair.
Le bateau de l’homme rattrapa celui de la femme.
— Nous devons maintenant être reconnaissants envers celui que nous avons tué, dit l’homme.
— Surtout pas. Pas de reconnaissance envers mon mari. À l’instant où vous en éprouverez, votre bateau deviendra pierre tombale.
Elle n’avait pas fini de parler que le bateau de l’homme devint pierre tombale et sombra en entraînant son corps. À cette vue, la femme dit :
— Deviens pierre tombale, mon bateau, et suis celui que j’aime jusqu’au fond de la mer.
Et, toujours nue, étreignant la pierre tombale, elle sombra comme une sirène.
Or, furieux à l’idée qu’il sombrait seul au fond de la mer, l’homme avait adressé une supplique à celui qu’il avait tué : « Pierre tombale, deviens bateau et flotte à la surface de la mer, là où se trouve mon amante », si bien qu’à mi-chemin il s’était mis à remonter.
Et comment pareille chose arriva-t-elle ? La femme qui sombrait et l’homme qui remontait se manquèrent en se croisant dans la mer. Seule la femme sombra.
La princesse du palais des mers, c’était elle.
Quand elle me raconta cette histoire, j’eus le sentiment que cette femme allait se suicider. Et en effet, elle se jeta dans la mer avec son amant. Lui mourut. Et elle, à l’instant où elle revint à la vie, poussa un cri, et s’agrippa au mari qu’elle avait trahi.
— C’était comme dans la fable. Exactement, jusqu’à la fin, me dit-elle quand je la revis.